
Paul Stamets, mycologue révélé au grand public grâce au documentaire Fantastic Fungi, déclarait récemment à CNN :
« Soyons adultes désormais : il n’est plus question de « champis », il n’est plus question de drogues festives. Les champignons psilocybes sont des substances non addictives, qui transcendent toutes les simplifications que l’on serait tenté de faire à leur sujet, et qui peuvent transformer une vie.
Au risque de paraître provocateur, je vais vous dire ce en quoi je crois profondément : les champignons psilocybes font de nous de meilleures personnes, plus intelligentes, de meilleurs citoyens. »
Voilà où nous en sommes : un tel avis, qui jadis aurait été rangé au registre de la controverse, est désormais librement exprimé sur des médias aussi mainstream que le géant Netflix, qui regorge de documentaires faisant une apologie à peine voilée de l’usage des plantes psychédéliques.
Mieux : après avoir été adoptées sous forme de micro dosage par la communauté tech californienne, ce sont désormais sept états américains qui abritent des villes ayant choisi de décriminaliser la possession et l’usage de ces substances. À l’heure où j’écris ces lignes, elles sont d’ailleurs en phase trois de leur étude clinique : le dernier pallier avant de les retirer du registre des « drogues » pour les inscrire à celui de « médicaments », avec à la clé, vous vous en doutez, une commercialisation en bonne et due forme.
Bien entendu, le processus n’est pas terminé et pourrait encore prendre quelques années. Cependant, les nez creux du monde de la finance ont déjà flairé le filon qui semble se profiler. Ainsi, le Nasdaq, l’équivalent américain du CAC40, a vu ces dernières années émerger de nouveaux noms : MAPS, MindMeds, Compass Pathways, autant d’entreprises dont la capitalisation a désormais franchi le cap du milliard de dollars, et qui entendent bien se positionner en leaders sur le marché psychédélique.
Encore perçue par le plus grand nombre comme une activité occulte, dangereuse et marginale, en quelques années à peine, l’expérience psychédélique serait elle en passe de devenir un service comme un autre, noyé quelque part entre Uber et Deliveroo dans l’offre pléthorique du monde occidental ?
L’expérience mystique serait elle soluble dans le capitalisme ?
C’est une inquiétude de plus en plus vivement nourrie dans les communautés éclairées à ce sujet, habituées à devoir agir dans l’ombre, et traditionnellement plus attachées à la pratique fraternelle, au resserrement des liens entre les individus qu’à l’art de faire marcher le tiroir caisse aussi fréquemment que possible.
À titre personnel, je doute de cette absorption du mystique par le libéralisme.
Le verre de Coca s’accomode parfaitement de la tablette Apple qui permet au consommateur confortablement installé dans son canapé Ikea d’envoyer sur sa télé Samsung un programme Netflix au moyen de sa Chromecast Google, car l’association de ces différents services crée une matrice consumériste homogène toujours plus dense à mesure que d’autres services viennent s’y ajouter.
Mais au sein d’une telle matrice, l’expérience psychédélique ferait plutôt figure de dynamite que de catalyseur.
Cette expérience, elle nous offre le renouveau, la catharsis, le voyage intérieur jusqu’à l’indicible, mais semble peu encline à se conformer à la paresse intellectuelle requise chez le consommateur lambda.
En ce sens, là où un certain marché voudrait faire de l’expérience psychédélique un service de plus, j’aurais plutôt tendance à y voir un cheval de Troie, qui s’immiscerait subrepticement jusqu’au coeur de la cité pour la transformer de l’intérieur.
A la prochaine,
Balthazar // La Gazette de l’Abîme
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