Percevoir et agir : quel rôle attribuer à l’expérience psychédélique dans la société moderne ?
- Balthazar Benadon

- il y a 4 jours
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Par Balthazar Benadon

Fondateur de la chaîne Youtube La Gazette de l’Abîme, des Retraites Psychédéliques du Dernier Jardin, co-fondateurs le l'association Decriminalize Nature France et formateur au sein de l'organisme Entea, Balthazar Benadon développe une approche qui combine analyse, précision conceptuelle et attention aux dynamiques intérieures. Son travail interroge les mécanismes de rupture, de réorganisation et de sens au cœur des trajectoires humaines.
Les récentes études associées à l’engouement médiatique de cette dernière décennie laissent entrevoir une expérience psychédélique aux allures d’intervention miraculeuse :
Un médicament qui, en une seule prise, permettrait la disparition pure et simple des maux affligeants l’âme humaine.
Imaginez.
Exit l’anxiété, la dépression et les traumas, merci bonsoir à l’addiction, au spleen et autres comportements autodestructeurs, place désormais à l’éveil spirituel et aux guerriers de lumière que nous deviendrions de façon systématique et permanente au contact de tel champignon, telle plante, telle molécule.
Croyez-le bien, j’adorerais me réclamer d’une oeuvre aussi limpide qu’un tel énoncé.
Hélas, je crois qu’entériner de telles idées reviendrait à relayer des propos aussi séduisants en surface que préjudiciables dans leur fond.
Il y a dans cette idée de guérison instantanée une invitation à la passivité caractéristique d’une certaine époque.
Une époque qui tend à transformer les individus en récepteurs davantage qu’en créateurs, encourageant ces derniers à se complaire dans une identification excessive à leurs traumatismes, figés dans une position infantile et réclamants à être nourris, cajolés et pris en charge face à la violence du monde.
Nous vivons dans un climat où la responsabilité tend à être projetée hors de soi.
Dans un tel contexte, la dimension Yin, maternante et réceptive, est aisément accueillie ; la dimension Yang, active et responsabilisante, s’avère plus difficile à considérer, tant elle se trouve réduite à des figures d’autorité oppressives souvent caricaturales.
Cet article propose donc une réflexion sur la manière dont nous envisageons d’intégrer le travail psychédélique à la société moderne.
En effet, quel intérêt peut bien avoir une telle expérience, aussi mystique soit-elle, si elle n’engage pas l’individu dans le sens de sa responsabilité et de sa capacité à agir ? Quel intérêt peut bien revêtir la voie psychonautique si elle n’aboutit pas à la réalisation d’un acte inscrit dans la conscience et dans la matière ?
En ce qui me concerne, j'appréhende l’expérience psychédélique au travers de ses polarités Yin et Yang.
L’une des empreintes laissées par le Tao en Occident est l’idée que la santé
- physique, émotionnelle et mentale - repose sur un équilibre entre émission et réception. Par exemple, un muscle sain se contracte et se relâche : trop de contraction le fige, trop de relâchement provoque son atrophie.
À la manière de ce muscle, le travail psychédélique me semble exister au travers de deux volets : sa part perceptive et passive, suivie de sa part décidante et active.
La part Yin du travail se déploie pleinement lorsque le cadre est adéquat : un espace d’attention, d’empathie et de soutien comparable à une fonction maternelle symbolique, capable d’accueillir l’amplification des champs sensoriels, émotionnels et mémoriels, incluant l'exploration des zones de douleur et de fragilité.
C’est une phase passive d’ouverture et d’exploration de la conscience.
Mais le travail engagé par cette première phase ne peut s’accomplir qu’avec son complément Yang : la fonction volontaire, symboliquement paternelle : la capacité à décider et trancher, que l’époque apprécie de réduire à sa caricature autoritaire.
La réduction de cette dimension et son procès me semble préjudiciable dans la mesure où elle contribue à fabriquer des individus passifs, centrés sur leurs blessures et moins enclins à se familiariser à leur puissance créatrice.
« Je souffre, on m’a fait du mal, le monde doit s’adapter à moi et porter son attention à ma réparation. C’est mon dû. »
Dans le sens de ce constat, un part Yang correctement ajustée au travail psychonautique devrait à mon sens s'engager au lendemain de l’expérience psychédélique et prendre la forme d’un processus de traduction de ce qui a été perçu vers un concept qui peut être compris, avant d’être transformé en acte.
En d’autres termes, un premier temps pour explorer et accueillir, suivi d’un second temps pour interpréter et agir.
Transmuter la perception en acte, le rêve en réalisation.
La dernière vidéo publiée par la Gazette de l’Abîme rapporte un cas concret de processus de transmutation efficace au travers du témoignage de Nadia, que j'ai pu observer à partir de ma position de gardien de voyage psychédélique : nous parlons ici d'une femme active de quarante ans, mère de deux enfants et qui raconte son chemin vers la sobriété après vingt années de consommation d’alcool en excès.
Dans cette vidéo, et au cours d'un processus auquel j'ai eu le privilège d'assister de façon directe, Nadia raconte comment elle a accueilli de façon passive, ouverte et réceptive les multiples voyages rendus possibles par l’Ayahuasca et les champignons. Elle exprime la façon dont ces outils ont ouverts le champ vers les parts souffrantes de son être face auxquelles l’alcool agissait comme un moyen de compensation.
Mais à l’inverse d’autres cas demeurants stagnants et passifs face à des constats similaires, Nadia raconte comment le processus de guérison, une fois arrivé à son terme, a réclamé de sa part un acte de transmutation, non sans une certaine sévérité ni une certaine intransigeance.
En l’occurrence, l'acte de transmuter sa souffrance en un outil mis à la disposition des autres.
J'ai du mal à imaginer meilleure conclusion à un tel processus, qui à ce jour fait pour moi figure d'exemple.
L’histoire de Nadia me rappelle l’un des principes fondamentaux de la Kabbale, cette branche ésotérique du judaïsme, qui nous enseigne que ce ne sont pas les hommes qui ont besoin de Dieu, mais qu'au contraire, c’est Dieu qui a besoin des hommes en pleine responsabilité, pour prolonger l’élan de sa propre création.
Pour engendrer le prolongement de cette création, il a besoin d'hommes et de femmes, soignés, éveillés, émancipés du rôle de récepteurs pour devenir créateurs.
Chacun ira de sa propre interprétation au sujet de son propre cheminement ; après tout, l'expérience psychédélique reste une expérience qui parle avant tout autre chose de la personne qui la vit et à moi, elle me raconte l'histoire suivante :
« Au cours de ta vie, tu tomberas, tu te blesseras et tu éprouveras la douleur. Mais quelles que soient les souffrances qui t'affligent, le monde a besoin que tu te répares, que tu te relèves et que tu avances. »
À présent, lève toi et marche.




Bonsoir. Avec la limite cependant que nous n'avons pas toustes les mêmes capacités à affronter/réagir/combattre. Mais je suis d'accord que la passivité et la victimisation c'est un peu facile : la déresponsabilisation est un mode de disfonctionnement. Comme indiqué en fin d'article"lève toi et marche" ou version Bob Marley "wake up stand up". Encore faut il avoir le courage de se battre(pardonnez l'expression mais il faut avoir les couilles-absolument pas sexiste de ma part-) pour affronter ses démons et se prendre en charge, personne le fera à ta place de toute façon. Prenez soin de vous